Ma vie ne sait pas nager...(PV Nathaniel)

Le sol était froid sous ses pieds nus, alors qu'elle marchait tranquillement, l'air perdu. Elle ne voyait rien, que le vide qui l'avait précédé tout au long de son existence. La nuit noire ne comportait aucune étoile, mais la lune de sa lumière, créait quelques ombres qui se mêlaient au brouillard en ces hauts lieux, produisait ainsi un effet morbide. Et la jeune femme s'y sentait parfaitement à l'aise. Comme si l'on avait prit de chacune de ses parcelles pour former cette mosaïque. Ses pieds la soulevaient, se déposant un après l'autre sur la terre drue du sol, avançant. Soudainement, la Renégat sentit l'un de ses pieds frapper le vide et elle recula par instinct. Mais elle resta là, immobile, au dessus d'un gouffre dont elle ne pouvait voir le fond. Elle sourit. Il lui semblait que tous les jours de sa médiocre vie, elle était confrontée à cette situation... mais ce soir était la première fois qu'elle pouvait voir ce gouffre de ses yeux aubruns.

Telle une statue elle ne bougeait plus. Puis un sourire apparut sur son visage, l'imprégnant d'une lueur nostalgique et morbide. Elle s'avança de quelques centimètres, ses talons n'étant plus que les seuls à toucher le rocher, le reste au dessus du vide. Elle étendit les bras en croix...et pensa. Il ne lui fallait qu'un mouvement vers l'avant, un seul, et elle plongerait, sans jamais pouvoir revenir à la surface de l'eau glaciale qui se mouvait à plusieurs kilomètres en dessous d'elle, et qui prendrait soudain la force d'un roc si elle s'y jetait, contre lequel elle s'écraserait brutalement, avant d'y sombrer. Car sa vie ne pouvait pas nager...

Il faisait déjà nuit depuis longtemps. Nath en avait profité pour faire un petit tour sur le territoire qu'il ne connaissait que trop peu. En espérant y retrouver celle qui possédait son âme. Raté. Lorsqu'il arriva, ce fut une autre femme qu'il trouva sur le Rocher. La silhouette féminine devant lui le fit froncer des sourcils. Un instant, il avait pensé voir Amberle, mais avait encore reçu en pleine face une cruelle déception. Il fixait à présent à demi ce corps terne qui semblait être ballotté par les vents, et qui tanguait dangereusement au dessus d'un abîme sans fin. Ou sans fin heureuse, tout du moins.

Cinq secondes lui furent nécessaires pour faire reculer le maigre corps de l'abysse profond. Une griffe se ficha dans le dos du vêtement de la femme, et il tira vers lui d'un mouvement sec et puissant. De quoi la mettre hors de danger, tout simplement.

Elle dut se résigner à rencontrer la terre ferme à nouveau, à genoux aux pieds de Nathaniel. Le lion était assis droit comme un I, dans toute sa splendeur, et fixait d'un air sage la petite chose étendue devant lui. Le son grâve et profond de sa voix suave s'immisca dans l'esprit de la femme sans qu'elle puisse protester.

*Ce n'était pas une bonne idée.*

Un corps que l'on aurait pu croire inerte, en suspension au dessus du vide, tanguait toujours dangereusement, valsant de la sécurité de la terre ferme au vide d'un abysse profond. Zara'lynn n'avait toujours pas ouvert les yeux, sentant peu à peu le désir de sa laisser tomber prendre une plus grande ampleur en elle-même. Qu'elle ne fut pas la surprise de la jeune femme lorsqu'elle sentit soudainement un souffle déchirer quelque peu le dos de sa robe de jais, avant qu'une douce force l'entraîne vers l'arrière. Déstabilisée, de nouveau de se monde, elle recula en tibutant avant de se retourner pour faire face à celui qui l'avait arraché à ses sombres pensées.

Un lion, majestueux et au regard sage se tenait, debout, devant elle, tel un roi, la fixant de son regard profond. Elle lui décocha des flèches de ses yeux vibrant d'une lueur choquée et malicieuse, avant d'entendre la voix grave et vive de cet être résonner en elle.

- Puis-je savoir ce qui vous pousse à venir m'importuner, gronda sa voix suave. On ne peut même plus réfléchir à la mort en paix, désormais ?

Constatant la mine mi-surprise de son soi-disant sauveur, elle continua, rageuse: - Oh, mais Monsieur pensait-il agir bravement, héroïquement en sauvant une pauvre âme en peine. Désolée de vous faire savoir que vous ne m'avez été d'aucune aide.

Les paroles lui firent plisser des yeux, de colère et d'énervement qu'il contenait sans peine. Combien de fois l'avait on provoqué ainsi ? Il ne les comptait plus. Ce n'était plus si grave, à présent. Apres un léger haussement d'épaules, il soutint le regard de braise de l'inconnue. Un sourire sans vie, vide, triste même, se ficha sur ses traits

*Il y a réfléchir et agir. Il faut d'abord faire le premier avant d'entamer le second.*

Les yeux mi clos, rayonnant d'un aura de douceur et de sagesse, il ne cessait de fixer ces yeux méfiants et cruels qui le fixaient. Elle répondit, sur la défensive, comme toujours, et la phrase fit sourire Nathaniel. Continuer par télépathie ne l'enchantait guère, mais il ne voulait pas que l'on voit son visage humain. Alors il ne broncha pas, et fixa le corps maigre entouré d'un fin voile de jais. Son regard se reposa sur les iris ternes de la femme, et il s'immisca de nouveau dans ses pensées.

*Je ne cherchais pas à vous aider. Je vous empêchais juste de commettre un acte stupide.*

Un sourire narquois se peignit sur sa face léonine, alors qu'il baissait la tête. Ses yeux se posèrent sur ses griffes, qu'il s'amusait à rentrer et à sortir. Elles brillaient d'un éclat mortel. Il trouvait ça drôle.

Zara' était toujours dans son emportement, continuant de fixer le fauve d'un regard de braise. Et lui se contentait de la détailler d'un regard sage, calme et humble, doux même, avec sa figure léonine aux couleurs sombres mais flamboyantes. Cette figure de ce qu'elle n'avait jamais été, un être majestueux, humble, à respecter, l'irrita au plus haut point et elle finit par se détourner. La voix masculine du lion se fit de nouveau entendre et elle fit une grimace de colère, du dégoût presque, avant de se retourner vers lui, pointant sur le fauve un index accusateur.

- Stupide ?, répéta-t-elle. Stupide !, dit-elle d'une voix qui grondait. Et qui êtes-vous pour ainsi déverser ces sages paroles qui se voudraient pleines de bon sens. Que savez vous de la stupidité, monsieur ? Bien que cet acte vous ait semblé délibératement irraisonné, il en était tout le contraire.

Zara était frustrée, et cette frustration ne fit que s'emplifier lorsqu'elle constata que son "sauveur" ne la regardait même plus, se contentant de fixer ses pattes, l'air amusé. Pourquoi parler avec lui ? Il ne l'écoutait même pas. Elle ne faisait que gaspiller sa salive. Oh oui, on pouvait remarquer dans ses moments à quelle point cette Renégat était un pauvre être blessé, dont émanait une vive colère constante.

Un doux sourire se peignit sur ses traits, alors qu'il redressait la tête pour la fixer. Il gratta la terre sous lui, d'une patte, y enfonçant ses énormes griffes. Après un instant, il perdit son sourire, et un grognement sourd sortit de sa gorge. Il hérissa son poil, se faisait effrayant .. Et cinq secondes plus tard, le voila redevenu agneau, et il répondit

"Stupide comme le fait de se comporter ainsi, en agressant des êtres qui sont voués à défendre la vie, sous quelque forme qu'elle soit, même la pire."

Sa voix était profonde, grave, puissante. Mais aussi un peu plus froide que tout à l'heure. Non, il ne perdait pas patience. Oui, il sous entendait bien qu'elle avait beau être une belle ordure, elle méritait de vivre à son gout. On avait tous une raison d'être faché, méprisant, lunatique ou silencieux. Il y a autre chose. Il n'y a que les néantiens qui sont mauvais de nature. Les autres, ils se forcent, pour se donner un genre, ou pour se protéger du monde extérieur, des sentiments qu'il pourraient être suscpetibles de ressentir. Nathaniel savait tout cela. Il avait traversé de grandes périodes de doutes, souvent les gens l'ont dégouté, déçu, pourtant, il est passé outre ça, et voila où il en est aujourd'hui ..

Comment osait-il sourire alors qu'elle lui jetait ses flèches à la figure ? Pourquoi restait-il si calme ? Elle se sentait bouillir dès qu'elle avait sous le regard ce fauve. Et se connaissant elle-même, il n'en fallait que de quelques paroles idiotes de plus pour qu'en elle n'érupte le volcan de sa fureur. Or, à ses paroles, sur son visage se dessina un sourire, qui aurait pu être joli s'il n'était pas si crispé.

- D'accord... J'avoue que ce geste ait pu être, ou du moins, vous sembler stupide. Mais agresser les gens mon cher, dit-elle en le détaillant d'un regard froid. Cela fait partie de ma nature. Personne ne tient à moi ; je n'aime personne. Et c'est toujours plus divertissant de les attaquer que de les laisser passer en se contentant de les regarder cruellement.

Sa langue passa doucement sur ses lèvres, et telle une vipère, Zara'lynn s'avança doucement vers le lion jusqu'à n'être qu'à un pas de lui, et s'arrêta, les yeux brillants de malice. Elle sentait le souffle chaud du lion sur sa peau, ses yeux vagues qui la fixaient, derrière lesquels des pensées passaient doucement. Elle se demandait bien qui pouvait se cacher derrière ce masque touffu. Car chose certaine, il n'était pas un Dallalie. Et beaucoup trop humain pour être un réel animal.

Elle aurait pu se tromper en raisonnant ainsi. Les animaux ont parfois des sentiments plus forts que ceux des humains. Ils sont loyaux, voués à leur meute, ou à leur famille. Il font tous une part du travail. Certains animaux ont des qualités que les humains pourraient leur envier. Passons. Il plissa des yeux d'un air sage, et eut un léger soupir de soulagement lorsqu'elle parla. Il l'observa longuement, plongeant dans son regard, et lui murmura alors télépathiquement

*Je ne suis pas les gens. Je ne suis pas Personne non plus.*

Un éclair de malice et d'amusement transparut sur son visage sage. Il montrait à la femme la facette de lui la plus douce et sage. Qu'en serait il si une crise d'enfance lui venait ? Il deviendrait fou et dangereux pour elle. Et il le savait. Alors, se rendant compte du danger, et de la proximité naissante de la femme, il eut un léger mouvement de recul, le regard troublé par les propres horreurs qu'il avait commis dans le passé, et après un regard triste et désolé à la femme, il tourna les talons, et ne laissa dans son sillage qu'un peu de poussière soulevée et la trace de ses griffes dans la terre meuble. Il s'en allait.

À ces paroles, Zara' se contenta d'émettre un rictus dans la nuit.

- Et pourtant, à mes yeux, vous n'êtes pas plus intéressant qu'un autre.

Le lion semblait réfléchir rapidement, et un triste voile, effrayé, passa sur son visage, et s'y déposa. La Renégat ne sentit toutefois pas, pour lui, quelque élan de compassion ou d'amabilité. Elle était comme cela. Froide, cruelle, manipulatrice. Et ça n'était point sa faute. C'était les gens que l'on cotoyait, les évènements que l'on vivaient, les épreuves sous lesquelles on ployait ou décidait de traverser qui nous formaient. Et elle n'avait connu que l'amour superficiel d'une mère infidèle et absente, des gens qui la persécutaient, la trahissaient, la décevaient. Puis les ans avaient passés, amenant chaque fois avec eux des évènements déroutants. Puis, Zara'lynn était tombée sous le poids des obstacles.

Et voilà l'être qu'elle était aujourd'hui. Elle sortit subitement de ses pensées, et eut le temps de voir le fauve se détourner et commencer à marcher au loin. *Encore une personne qui me fuit, pensa-t-elle. Comme d'habitude* Et cela lui convenait. Comme toujours. Et pourtant, chaque fois qu'elle se répétait ces paroles, la douce enfant en elle des premières et vieilles années lui disait que non, tenter de lui crier son besoin d'être aimée pour qu'ensuite, elle-même, elle le dévoile au gens. Mais on l'avait trop souvent blessée. Personne ne l'aimait...Elle n'aimait personne. Aimer et être aimé. Ce dont tout le monde a besoin. Ce dont elle avait été privée. Et au fil des années, elle s'était convaincue que jamais cela ne pourrait changer.

Elle fixa un regard vide sur le lion qui s'éloignait doucement...

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